About

La rue est inépuisable, dès le moyen-age le déchet est un problème ; depuis 1985 une science lui est consacrée. La rudologie s’évertue à étudier le « rudus » – décombres, masse non-travaillée, autant des biens que des espaces déclassés. L’économie circulaire, entre philosophie et économie prend le parti de re-penser notre modèle de consommation. Elle récupère, restaure, valorise les matériaux industriels et les ré-intègre dans le circuit économique. J’oriente mes recherches dans ce cercle de réflexion et engage mon geste dans ce cycle de production.

C’est en me penchant dans les bennes de chantiers, en recherchant des éléments, en explorant la ville que je nourris ma pratique. Quels sont les matériaux que je trouve, pourquoi ici, d’où proviennent-ils, que racontent-ils, comment me les approprier, les transcender ?

Je récupère les matériaux en me demandant quel est le geste le plus juste, quel outil est adéquat, quel action semble préciser ma pensée ; défoncer, buriner, meuler, exploser, marteler et tout autre acte qui s’apparente, dans sa forme de fracture esthétique, au vandalisme. Entre instinct et méthode, c’est dans le combat, dans la confrontation entre mon corps et la matière que je choisis de re-penser, de ré-inventer le rebut. Je questionne la création par la destruction, la démolition par la construction. Cette pratique intense d’atelier et mes performances barbares – barbare dans le sens de faiseur de ruine, créateur de destruction – me permettent aujourd’hui de comprendre les aspects, dureté, fragilité, flexibilité, porosité, résistance, dégradation des matériaux.

La matière première que j’affectionne principalement est le déchet industriel :placo-plâtre, marbre, tôle, dalle, moulure, béton, etc. Il est issu de démolitions, de réhabilitations, de restaurations, de constructions et finit le plus souvent à la benne, cimetière de matière ; lieu de fouille dénigré d’une archéologie actuelle. Tous ces éléments ont une temporalité, une usité ; des tuyaux de cheminée rouillés n’ont pas les mêmes que des jambages de cheminée en marbre, leurs mises aux rebuts ne le sont pas pour les mêmes raisons, leurs découvertes n’exercent pas les mêmes sentiments sur moi.

Mon travail est de mettre en exergue ces transitions, questionner ces circuits, donner une nouvelle voix/voie à ces archives, dialogue entre passé et futur, image d’une double temporalité dans laquelle la sauvegarde est liée à l’effacement. Elles sont témoignages d”intérieurs domestiques, documents de friches industrielles, preuves d’une mémoire urbaine, péri-urbaine ou rurale délaissées que je recycle, transforme et valorise.

Ma pratique est intrinsèque à son environnement. Le lieu de construction, son contexte, sa nature, son histoire me permettent d’affiner et d’affirmer mon geste dans des projets in-situ où l’économie circulaire est étroitement liée au patrimoine du site en question. Je me positionne par rapport aux lieux de fouilles et à la matière qui s’y trouve ; la transformation, la valorisation des matériaux sur le site d’accueil de l’installation crée de nouveaux témoignages aux allures de poésies industrielles.

Le travail de sauvegarde – empreint de contexte historique – est associé à une construction « punk/do it yourself » en réflexion aux transitions sociales et économiques du lieu.

Cette architecture du rebut née de la coercition de l’ acte et du contexte ; c’est de cette contrainte que la matière brute bascule du rang de rebut au statut d’oeuvre in-situ.

BIO

Quentin Lemarchand est né en 1988 à Bergerac, il vit et travaille à Bruxelles depuis 2015.

Passionné par l’art et plus précisément par la photographie de reportage depuis le lycée il arpentera différentes voies telles que la sociologie avant son entrée aux Beaux-arts en 2011.

C’est à l’ESA des Pyrénées site de Pau qu’il commence à appréhender la sculpture, dans laquelle il s’affirmera au fur et à mesure des années jusqu’à obtenir son DNAP avec les félicitations du jury en 2015. Son exposition de fin d’études se focalisera sur l’aller-retour entre construction et déconstruction ; il explore les limites des matériaux tout autant que les siennes.

Par la suite il décide de continuer ses études en Belgique dans le but de découvrir une approche différente de l’art contemporain et de son apprentissage. Il rentre à l’école de recherche graphique où il précise son exploration débutée à Pau.

Il obtient son Master pratique artistique/outils critiques en 2017 grâce à une installation racontant l’histoire d’un parcours fait d’expérimentations.Il y questionne la réalité des matériaux, leurs origines et leurs devenirs. Dans un contexte enclin aux préoccupations d’économies du ré-emploi et à l’inverse des problématiques de conservations, l’artiste s’immisce dans ce fragment d’espace et de temps. Inspiré par des architectures séculaires, il réinvestit leurs formes dans un travail in-situ où les projets se doivent de raconter les raisons de leurs encrages.

C’est une pratique mêlant la temporalité à la matérialité créant une archéologie urbaine que l’artiste s’évertue à explorer.

“Son travail conjugue avec passion une poésie pour les matériaux dits « bruts », le lourd, la pierre, le métal, et toutes choses résistantes et dures, aussi dures que la musique qu’il écoute, un intérêt pour l’architecture précaire, dont l’histoire des ruines, un regard aigu sur l’histoire ouvrière et les comportements sociaux avec une sorte de littérature, toujours au bord d’une poésie urbaine engagée. C’est en ce sens qu’en tant qu’artiste il n’est pas rare qu’il mette son propre corps à l’épreuve de ses projets, souvent dans de longs processus au travers desquels le contexte de l’oeuvre autant que sa production seront réfléchis.”

David Evrard